Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Serment de Sang (Witchblade) par Thierry Bellefroid
« Witchblade, Le serment de sang », par Lofficier et Roux. Chez Semic Album.

La réponse de Semic à Panini, en quelque sorte. Ici aussi, on planche sur l'idée de confier des univers américains à des auteurs de la bonne vieille Europe. Et le premier résultat est ce « Serment de sang », qui mêle « Witchblade » à la veine plus française de Randy et Jean-Marc Lofficier. Contrairement à ce qu'ont réalisé chez Panini les auteurs italiens qui se sont emparés de Spiederman (« Le secret du verre », voir la critique sur bdp), l'histoire du « Serment de sang » se déroule dans les décors américains. Mais pour y raconter un récit inspiré de l'univers de Witchblade, les auteurs y ont « importé »... Jeanne d'Arc et Gilles de Rais. Le postulat est un peu tiré par les cheveux et il faut avoir envie d'y croire, mais le résultat est un album que ne renieraient pas forcément les lecteurs américains. La question qui se pose est de savoir ce qu'il apporte à la BD. Au niveau du trait, le travail de Stéphane Roux est efficace, ça bouge comme dans un comics. Le découpage et la narration rappellent eux aussi la manière de travailler Outre-Atlantique. Mais à part ça ? « Serment de sang » aurait tout aussi bien pu être une sortie parmi d'autres chez Soleil. On ne peut pas dire que la Witchblade en soit l'ingrédient vital et essentiel. Bref, tout cela apparaît davantage comme une volonté éditoriale qui consiste à élargir le lectorat de la BD US, voire à créer des passerelles pour le futur, que comme une révolution dans le monde du neuvième art. Reste que les auteurs se tirent avec un certain talent de cet exercice imposé, à condition d'avoir envie de les suivre dans les méandres de l'Histoire Globale...
« Queen & Country », par Rucka, Rolston et Hurtt, chez Semic Noir.

La lecture des deux tomes de « Whiteout » parus l'an dernier chez Akiléos nous avait montré que Greg Rucka pouvait largement s'inspirer de la réalité contemporaine pour créer ses histoires, fût-il par ailleurs tout à fait à l'aise dans les univers de super-héros comme Batman ou Superman. Avec « Queen & Country », le scénariste va plus loin encore dans le réalisme. Aidé par deux dessinateurs qui ne laisseront pas leur nom dans l'histoire mais qui servent le récit sans vouloir faire trop d'effets gratuits, Rucka nous propose de suivre les pas de quelques personnages du service action des services secrets de Sa Gracieuse Majesté. Au centre des deux récits de ce premier recueil, une femme, Tara Chace, agent de terrain, que l'on envoie au Kosovo afin d'y abattre un russe mafieux pour rendre service à la CIA. D'emblée, Rucka nous plonge dans la réalité d'aujourd'hui, soignant les détails, faisant tout en sorte pour rendre crédible son histoire. Et ça marche. Ça marche même très bien. D'un bout à l'autre du livre, le lecteur a le sentiment de pénétrer les petits secrets du S.I.S. en passant du Kosovo au territoire national (avec guerre des polices, code d'honneur des terroristes comme des agents de Sa Majesté et autres histoires de la vie quotidienne du « bureau ») puis en Afghanistan. Si l'album commence sur les chapeaux de roues par une scène d'action brillamment menée, le scénariste prend ensuite davantage de plaisir à tracer les contours psychologiques de ses principaux personnages, leurs ressorts, leurs failles. Et la seconde histoire va plus loin encore, puisqu'elle exploite parfaitement le trouble dans lequel Tara Chace se trouve au terme du premier récit pour en faire l'un des éléments principaux de la résolution de l'énigme. Le lecteur découvrira, surpris, que les agents de terrain à la vie trépidante, ont été sauvés par la curiosité opiniâtre de celle qui est restée à Londres, contrainte et forcée, pour éplucher les dossiers ! Intelligente, bien documentée, mêlant habilement complications diplomatiques et implications humaines, parfaitement en phase avec les événements de notre époque, cette nouvelle série aux antipodes de James Bond constitue un bel exemple de ce que la BD américaine peut produire dans le domaine réaliste.
« Encore un exemple où la vie est comme ça », par Paz Boïra. Au Frémok.

Paz Boïra est une illustratrice espagnole formée à Bruxelles et vivant aujourd'hui en France. Est-ce pour cela qu'elle a choisi la forme muette pour s'exprimer ? Apparemment, oui, puisque la jeune femme avoue ne posséder aucune langue au point de l'employer pour son travail. Un livre muet, donc, un livre qui demande au lecteur de faire un bout de chemin pour rejoindre l'auteur. On ne « lit » pas « Encore un exemple où la vie est comme ça » sur un coin de table. On s'y investit. Les livres muets sont souvent les plus exigeants à la lecture. Celui-ci n'échappe pas à la règle, au contraire. On peut le prendre de manière conventionnelle, du début à la fin. On peut aussi faire l'exercice inverse, voire commencer au milieu. Paz Boïra ne raconte pas d'histoire, au sens conventionnel du terme. Elle propose une vision extrêmement poétique du rapport de l'homme à la femme. Ses cases sont d'une puissance et d'un dépouillement étonnants. Jouant sur les symboles, sur les métaphores, sur les métamorphoses surtout, elle introduit sexualité et sensualité entre ses deux personnages. Elle les fait passer d'un état à un autre par une sorte de magie non dite. Agrandis pour l'impression, ses dessins au crayon sont tout simplement magnifiques. Ils semblent toujours en mouvement, comme extraits d'un film d'animation juste pour le livre. Il y a dans cet ouvrage un pouvoir hypnotique, une beauté grave et presque grasse qui fait qu'on le rouvre plusieurs fois après l'avoir lu, au hasard des pages, pour prolonger le plaisir de l'œil. Bien sûr, les choix de Paz Boïra requièrent quelque prédisposition à la lecture d'œuvres basées non plus sur le rapport texte-image ou sur le scénario mais sur le sens développé par le seul dessin. Pour lecteurs avertis, donc.
Nadia se marie (Titeuf) par Thierry Bellefroid
« Nadia se marie », tome 10 de Titeuf, par Zep. Chez Glénat.

Passons sur l'aspect machine de guerre mis en place par les éditions Glénat. Titeuf est un phénomène, le premier de ce genre depuis Astérix ou Gaston, et on ne peut que s'en réjouir. Mais qui dit mise en place de deux millions d'exemplaires dit nouveau lectorat. Que penseront les quelques centaines de milliers de nouveaux lecteurs de cet album ? On peut se poser la question. Ceux qui connaissent la série, l'univers, l'humour de Zep trouveront sans doute leur plaisir dans cette histoire longue pleine de références aux précédents albums. Mais le lecteur qui découvre Titeuf avec ce dixième album risque peut-être de se demander pourquoi le gamin à la houppe a un tel succès. C'est évident, Zep a voulu rompre la monotonie, se placer un nouveau défi. C'est tout à son honneur. Le résultat n'est toutefois pas toujours à la hauteur. « Nadia se marie » n'est pas un mauvais album. Mais il lui manque la force des gags en une planche. Raconter une histoire longue est un métier. Et de toute évidence, Zep ne le possède pas bien. On rit beaucoup moins. Et surtout, on devine où l'auteur veut nous mener dès la mise en place de l'histoire. Car l'arrivée de Jérôme, « rival » imbattable qui colle à Nadia comme un chewing-gum est un procédé ultra-éculé. Aussi n'éprouve-t-on pas la moindre surprise lorsque son identité est révélée à la planche 42. Vu et revu. Surtout en bande dessinée. Sans aucun suspense, on se laisse donc porter vers la fin, en sirotant cet album aux couleurs très réussies et aux bons mots toujours aussi savoureux. Sans parler des quelques très bons gags qui émaillent tout de même cette histoire, bien sûr. Bref, un moment de lecture agréable pour fans en panne de nouveauté. Mais certainement pas un chef d'œuvre. Dommage pour une année qui consacrera définitivement Zep comme star des ventes... et président du festival d'Angoulême. On espérait mieux. Surtout après l'excellent travail réalisé comme scénariste sur « Captain Biceps » juste avant l'été.
A l'ombre des tours mortes par Thierry Bellefroid
« A l'ombre des tours mortes », par Art Spiegelman, chez Casterman.

Deux événements se partagent cette rentrée dans le petit monde de la BD. D'une part, un Titeuf tiré à deux millions d'exemplaires. De l'autre, ce livre, qui n'aura pas le même succès commercial, mais qui apparaît comme l'album phare de l'année 2004. Pourquoi ? Parce que l'objet en lui-même est somptueux. Parce que Spiegelman sort d'un silence de treize ans dans sa production en bande dessinée. Parce qu'il est le seul auteur de BD à avoir jamais obtenu la récompense suprême : le prix Pulitzer. Et parce qu'il nous livre une vision personnelle de l'après Onze Septembre qui confine à la perfection. Perfection de la forme, à l'inventivité constante. Perfection du propos, mêlant constamment paranoïa, introspection et critique politique. « A l'ombre des tours mortes » est un livre cher, certes. 25 euros pour une quarantaine de pages ou plus exactement une vingtaine, puisque chaque page est conçue à l'horizontale sur deux planches à la fois. Mais sa lecture est un régal. Elle démontre que l'on peut tout dire à travers la BD, même l'indicible. Le trouble profond qu'a ressenti l'auteur le 11 septembre 2001 et celui qui s'est fait de plus en plus criant à mesure que l'événement s'éloignait, voilà le fond du propos d'un livre qu'aucun écrivain ne pourrait égaler. Ce trouble, cette angoisse, Spiegelman nous les livre autant avec ses mots qu'avec ses dessins, convoquant au passage quelques-uns des plus grands héros de la BD américaine, jouant sur les références à leurs univers et nous présentant au passage un travail qui puise ses racines dans l'amour d'une bande dessinée aux apparences démodées. C'est cet ouvrage à l'ancienne qui fait tout le charme du livre. Mais à côté de ce charme désuet, il y a un récit d'une intimité souvent poignante. Le mélange des deux ne peut décevoir les lecteurs curieux.
« A l'ombre des tours mortes », par Art Spiegelman, chez Casterman.

Deux événements se partagent cette rentrée dans le petit monde de la BD. D'une part, un Titeuf tiré à deux millions d'exemplaires. De l'autre, ce livre, qui n'aura pas le même succès commercial, mais qui apparaît comme l'album phare de l'année 2004. Pourquoi ? Parce que l'objet en lui-même est somptueux. Parce que Spiegelman sort d'un silence de treize ans dans sa production en bande dessinée. Parce qu'il est le seul auteur de BD à avoir jamais obtenu la récompense suprême : le prix Pulitzer. Et parce qu'il nous livre une vision personnelle de l'après Onze Septembre qui confine à la perfection. Perfection de la forme, à l'inventivité constante. Perfection du propos, mêlant constamment paranoïa, introspection et critique politique. « A l'ombre des tours mortes » est un livre cher, certes. 25 euros pour une quarantaine de pages ou plus exactement une vingtaine, puisque chaque page est conçue à l'horizontale sur deux planches à la fois. Mais sa lecture est un régal. Elle démontre que l'on peut tout dire à travers la BD, même l'indicible. Le trouble profond qu'a ressenti l'auteur le 11 septembre 2001 et celui qui s'est fait de plus en plus criant à mesure que l'événement s'éloignait, voilà le fond du propos d'un livre qu'aucun écrivain ne pourrait égaler. Ce trouble, cette angoisse, Spiegelman nous les livre autant avec ses mots qu'avec ses dessins, convoquant au passage quelques-uns des plus grands héros de la BD américaine, jouant sur les références à leurs univers et nous présentant au passage un travail qui puise ses racines dans l'amour d'une bande dessinée aux apparences démodées. C'est cet ouvrage à l'ancienne qui fait tout le charme du livre. Mais à côté de ce charme désuet, il y a un récit d'une intimité souvent poignante. Le mélange des deux ne peut décevoir les lecteurs curieux.
L'Orme du Caucase par Thierry Bellefroid
« L'orme du Caucase », par Taniguchi et Utsumi. Chez Casterman.

L'excellente collection « Ecritures » accueille un nouveau Taniguchi, alors que « Le sommet des dieux » a connu deux parutions en six mois chez le concurrent Kana. A force de vouloir publier du Taniguchi, les éditeurs ne vont-ils pas scier la branche sur laquelle ils sont assis ? Tout le monde en veut. Et à la lecture de « L'orme du Caucase », on comprend pourquoi. Voilà un livre qui n'a rien à envier aux autres adaptations d'écrivains réalisées par le dessinateur japonais. Au contraire, alors que « Le sommet des dieux » semblait être « L'œuvre de l'année », le voilà relégué par une succession de nouvelles au ton universel, qui abordent la solitude, la famille, la douleur de vivre et celle de se réconcilier, parfois. Rien à dire, « L'orme du Caucase » est un de ces livres que l'on n'oublie pas. Le dessin de Taniguchi, toujours aussi précis, approche les émotions et les visages mais magnifie tout autant les lumières ou la nature, très présente dans ces huit histoires. Mais le plus impressionnant, c'est la rapidité avec laquelle les deux auteurs harponnent le lecteur, le plongent au cœur de l'émotion. Quelques pages suffisent à chaque fois pour nous faire pénétrer ces âmes blessées, pour nous émouvoir. Plus on avance dans la lecture de ces nouvelles à l'humanité presque bouleversante, plus on regrette d'approcher de la fin. Car on sait qu'en refermant la dernière page, on cherchera vainement un équivalent pendant de longs mois. Une lecture à ne pas rater, donc. Même si vous croyez que Taniguchi ne peut plus vous étonner !
« Les zombies qui ont mangé le monde », tome 1 : Une odeur épouvantable, par Guy Davis et Jerry Frissen. Aux Humanos.

On aime bien les histoires de zombies aux Humanos. Mais celles-ci n'ont rien à voir avec le ton SF gore des deux tomes de la série « Fragile » de Stefano Raffaele. Ici, l'humour est prépondérant, décalé, déjanté, irrévérencieux. Un trio de chasseurs de zombies improbable, composé d'un boutonneux détraqué, Karl Neard, de sa sœur, Maggie et d'un Belge nommé avec humour Freddy Merckx (hommage évident du scénariste -un Belge installé aux Etats-Unis- au champion cycliste qui a bercé son enfance). Une ville, Los Angeles, où zombies et humains se partagent l'espace avec plus ou moins de bonne volonté. Nous sommes en 2064, morts et vivants doivent légalement cohabiter, ce qui n'empêche pas les petits arrangements... Les auteurs s'amusent à empiler de courtes histoires crépusculaires pour composer une toile d'une noirceur grinçante qui ne laisse pas indifférent. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils savent s'y prendre pour nous dérider avec leurs horreurs. Personne n'échappe à leurs coups de bistouri. Politiquement incorrect, l'univers de Frissen décortique tous les travers de la société humaine et le dessin de Davis s'amuse à nous faire rire tout en nous dégoûtant. Le résultat est aussi jouissif que les nouvelles racontées par les deux compères sont amorales. On en redemande.
Le Trésor de Cibola par Thierry Bellefroid
« Le trésor de Cibola », de Sergio Toppi. Chez Mosquito.

Ce n'est pas la première fois que Toppi nous plonge dans les terres brûlantes du Nouveau Monde, bien au contraire. Elles constituent l'une des ses principales sources d'inspiration. Attiré par des paysages désertiques brûlés de soleil qu'un Giraud a lui aussi souvent magnifié à travers son trait hachuré, Toppi nous plonge en 1541 dans une histoire à cheval entre légende et aventure. Un vieux Conquistador « à la retraite » se laisse embarquer par deux personnages dissemblables à la poursuite d'un trésor fabuleux : les sept cités de l'or, Cibola. La faim, la soif, la peur et surtout la comédie humaine vont rythmer le voyage. Une sorte de quête initiatique qui va permettre à Toppi de jouer à la fois sur les rebondissements dans le scénario et sur la symbolique des éléments. Dans cette fable à la fin inéluctable, il laisse son dessin évoluer vers des images de plus en plus fortes dont le point culminant est atteint entre les pages 37 et 41 du livre. L'or est là, jaune comme un soleil, aveuglant, enivrant, il ne fait qu'un avec la folie des hommes. On lit « Le trésor de Cibola » avec le sentiment que l'originalité n'est pas tant dans le propos -déjà maintes fois traité à travers la littérature et la BD- que dans son traitement. Plus classique dans sa mise en page que certains des derniers ouvrages parus en français -tous chez Mosquito-, l'album est servi par des couleurs directes où l'on reconnaît la patte de ce grand dessinateur italien.
Sanctuaire par Thierry Bellefroid
« Sanctuaire » de Mike Mignola, chez Rackham.

Mignola est incontestablement l'un des hommes de l'année de l'autre côté de l'Atlantique. Mais chez nous, il n'est pas en reste. Non seulement B.P.R.D., paru chez Delcourt, a changé les lecteurs d'Hellboy de leur quotidien. Mais ce « Sanctuaire » est une excellente initiative de Rackham, car il nous propose de retrouver Mignola dans un exercice radicalement différent. Le graphisme en noir et blanc de cet album vaut à lui seul un coup d'œil. Et même si la première histoire, celle qui donne son titre à ce livre, ne restera pas forcément dans les mémoires, la seconde, plus longue, est un pur bijou. Dans « Gotham à la lueur des réverbères », Mignola développe un récit d'une grande intelligence et d'une belle inventivité. Il plonge dans les racines peu explorées de Gotham City en nous racontant les origines du mythe de Batman à la fin du 19ème siècle. Et tant qu'à faire, il mêle l'histoire de l'homme chauve-souris à celle de Jack L'Eventreur. Un récit qui plaira aux nombreux lecteurs du « From Hell » d'Alan Moore. Restituant une Gotham inédite mais fascinante, Mignola se joue des références et mélange habilement personnages de fiction et personnages historiques. En pratiquant cet exercice, il donne d'autant plus de crédibilité à Batman qui devient lui aussi en quelque sorte une figure historique. L'auteur utilise brillamment toutes les subtilités du noir et blanc et du découpage, mais aussi celles de la narration, jouant sur plusieurs tableaux, créant une part de mystère et installant un suspense intéressant de bout en bout.
La route des Monterias par Thierry Bellefroid
« La route des Monterias », par Vanoli. A L'Association.

Vanoli là où on ne l'attendait pas. Un récit presque exotique, à tout le moins épique. Tout commence pourtant de manière très classique. Un peu comme un remake de la bande à Bonnot. Des anarchistes, le premier quart du vingtième siècle, Vienne, des courses-poursuites presque dignes d'un film de série B et une fuite vers Hambourg. Et puis l'univers de Vanoli bascule, le lecteur passe sans transition en Amérique Latine. La rencontre avec « Le Singe » sera déterminante. Elle pousse notre héros à s'embarquer sur un paquebot et à voguer vers le Mexique. Vanoli ne s'embarrasse pas de pages de transition. En deux planches à peine, la mer est oubliée ; les grands espaces, le pays neuf à conquérir apparaissent. Et voilà la fresque prête à se dérouler sous les yeux d'un lecteur étonné. Après ce prologue très européen où le noir et gris de l'auteur semblait convenir à merveille, comment va-t-on « croire » au Mexique, à sa chaleur, à ses couleurs, à ses personnages hors-norme ? La force du dessin de Vanoli fait voler en éclat toutes ces questions. Jouant sur les ambiances et sur les lumières, variant les cadrages jusqu'à s'offrir de plus en plus de (magistrales) pleines pages, il nous emmène où il veut. L'aventure est totale, le dépaysement aussi. Il y a quelque chose de magique dans ce livre qui fait penser au travail d'un Blain ou d'un Sfar. Vincent Vanoli peut se contenter de suggérer, la puissance évocatrice de son récit ne demande pas de détails historiques ni de décors rigoureux. C'est le lecteur qui fait le travail, happé par l'imaginaire de l'auteur et par une galerie de portraits saisissante. Finalement plus proche du « Décaméron » que des « Contes de la désolation », l'album s'achève de manière sublime, presque comme une galerie d'art sous votre nez, chaque dessin devenant un tableau.
« Affreux, sales, bêtes, méchants et immondes », Tome 15 de Torpedo, par Bernet et Abuli. Chez Toth.

Torpedo, plus horrible et amoral que jamais ! Difficile d'aller plus loin dans l'abject. Et pourtant, on pardonne tout à ce duo de joyeux dynamiteurs de morale. Parce que c'est là la marque de fabrique de leur série fétiche. Parce qu'on rit, même lorsque les auteurs flirtent avec la pédophilie. Mais comment font-ils pour oser exploser tous les tabous avec tant d'apparente indolence ? Dès l'entrée en matière de ce nouveau polar noir de noir, Torpedo et son infâme second se rendent chez un pédophile notoire pour lui proposer un marché innommable. Et d'emblée, les dialogues sont à pleurer de rire (« Tu...tu me demandes que.. je sodomise un gosse ? » demande le pédophile. « Non, je ne veux pas que tu le sodomises, je veux que tu le bourres », répond Torpedo qui ajoute : « Alors, t'es une tante ou pas ? ». Réponse de l'intéressé : « Non, non, je suis un honorable pédophile ». « Bon, tantouze pour mômes, c'est du pareil au même... » conclut Luca Torelli). Le ton est donné. Plus sadique que jamais, plus tordu que jamais aussi, ce quinzième tome de la série la plus irrévérencieuse de la BD espagnole ne décevra pas les amateurs du genre. Au contraire, tout y est. L'humour noir, le dessin inimitable de Bernet. A soixante ans, le natif de Barcelone reste un dessinateur vif, pour ne pas dire incisif, qui donne tout son sel à l'univers d'Abuli. Dommage que la couverture soit si affreuse -peut-être pour faire écho au titre de l'album ?- et que les fautes d'orthographe viennent parfois gâcher la lecture. En revanche, l'éditeur nous propose un entretien avec Jordi Bernet en bonus. Réalisé en 96, il reste tout à fait d'actualité. Si ce n'est qu'il aborde davantage les autres facettes du dessinateur, en laissant notamment une large place à « Claire de nuit ».
Café Panique par Thierry Bellefroid
« Café panique », adapté par Alfred. Aux éditions Charrette.

Sept ans déjà que la voix de Roland Topor s'est éteinte. Et plus de vingt ans que Café Panique est paru au Seuil. Déjà adapté au théâtre, ce roman kaléidoscopique composé de 38 histoires courtes connaît désormais une nouvelle vie en bande dessinée. Aux commandes, Alfred, complice de Corbeyran et Chauvel chez Delcourt qui propose une version à la fois fidèle et très personnelle de l'œuvre originale. Il en a conservé la verve, l'humour noir, le non-sens et la farce. Mais il y a ajouté la forme. Une forme qui s'avère aussi éclatée que l'était Topor lui-même : dramaturge, écrivain, dessinateur humoristique, scénariste, peintre, comédien... On passe du noir et blanc à la couleur, de la couleur au collage. Alfred substitue aux mots de l'écrivain ses propres impressions, privilégiant une mise en couleur par blocs, proche de la sérigraphie, et des crayonnés très peu présents. De ce dessin foisonnant, ressort l'impression de ruche surréaliste et chatoyante que suggère le Café Panique, avec ses petites histoires de comptoir, ses personnages tous affublés de surnoms, ses télescopages de vies. Le résultat est brillant. Il prouve que le dessinateur de « gentils » (et très réussis) albums jeunesse peut devenir un excellent metteur en scène de bande dessinée. La forme moderne et inventive de cette adaptation constitue en tout cas un très bel hommage au texte original et à son créateur !
Mauvais chemin par Thierry Bellefroid
« Mauvais chemin », de Jason. Chez Atrabile.

Jason peut s'enorgueillir d'avoir réussi avec « Mauvais chemin » son meilleur album à ce jour. Et de très loin. Jouant à la fois sur les références au Frankenstein de Mary Shelley (mais traité à l'opposé de la très belle adaptation de Denis Deprez) et sur une vision toute personnelle de l'histoire d'amour, il construit un récit absolument brillant que le chapitre deux vient définitivement installer au rang de petit chef d'œuvre. Au départ, un savant fou qui tente de ressusciter les morts, déterrés dans le cimetière voisin par son assistant. L'assistant en question, comme la plupart des personnages de cette histoire, est pétri de solitude. Aussi, quand la créature ressuscitée par le savant arrive-t-elle auprès de lui, il en tombe éperdument amoureux. Tout cela se passe comme toujours chez Jason sans aucun texte et en très peu de pages, les choses étant suggérées, le « propos » ramassé, l'ellipse permanente. Et bien entendu, avec des personnages mi-animaliers mi-humains, ce qui est la marque de fabrique de ce dessinateur scandinave. Puis vient le fameux chapitre deux, corps de l'histoire, qui voit la fuite des deux amoureux en alternance avec une conversation entre deux laborantins dans un café. Jason introduit les phylactères dans son histoire, mais avec une intelligence et une originalité qui donnent tout leur sel au récit. A la manière d'un grand réalisateur de cinéma, il travaille la construction de son récit sur les oppositions, opposition du texte et de l'action, opposition de la scène statique du café et de la course-poursuite... Remarquable et en même temps jamais dénuée d'humour, son histoire nous entraîne vers une fin inattendue, où chacun reprend sa place. « Mauvais chemin » est un régal, et comme le livre de Winshluss, une variation brillante sur le mode de la BD muette. A ne pas rater !
Le système par Thierry Bellefroid
« Le système » de Peter Kuper. Aux éditions de L'An 2.

Voilà un livre qui vous intrigue dès la couverture. Elle propose une sorte de kaléidoscope en orange et bleu difficile à appréhender d'un coup, où l'œil revient, décode, fouille jusqu'à trouver le sens de chaque détail. « Le système » est en fait tout entier contenu dans cette couverture. De la même manière, le lecteur y est constamment sollicité, pris par la main dans une case et abandonné dans la suivante. La manière qu'a Peter Kuper de concevoir la bande dessinée muette ne ressemble en effet à aucune autre. Il parsème son ouvrage de phrases contenues sur des supports -journaux, écrans d'ordinateur, affiches, etc...- qui permettent au lecteur de dépasser la simple succession d'images et de « se » construire une véritable intrigue. Parallèlement à cette structuration, Kuper ne cesse de déconstruire, de nous projeter dans une sorte de labyrinthe dessiné où chaque image en cache une autre, où chaque porte explore un monde nouveau avant d'en revenir au point de départ. Les flics corrompus, la violence du métro, la silhouette obsédante du Chrysler Building et l'obsession de l'argent ou du pouvoir : ce sont les mêmes thèmes qui reviennent, de page en page, et s'entrelacent pour former... « le système ». Un système servi par un dessin aux couleurs constamment dominées par le rouge et le bleu. Mais aussi par un graphisme troublant, aux contours diffus, qui évoque le travail au pochoir. De l'ensemble se dégage un parfum d'une très grande originalité et une évidente maîtrise de la BD. Pour autant, la lecture de ce livre n'est pas si évidente qu'il y paraît. Comme souvent, les BD muettes obligent le lecteur à une grande concentration, elles forcent l'œil à se mettre en rapport avec l'esprit. Dans un monde bédéphilique bien rassurant où texte et images ont pour habitude de se compléter pour faciliter la lisibilité, cela change...

« C'est aujourd'hui dimanche », une aventure de Philibert, par Mazan. Chez Delcourt.

Depuis quatre ans, on attendait une suite à l'excellent « Dans l'cochon, tout est bon ». Mazan a pris son temps. Mais le résultat est à la mesure de l'attente. Les premières pages, tout à fait inattendues, sont tout simplement sublimes. Philibert y brille par son absence. On est dans le bayou. Brumes et lumières de circonstance, couleurs dominées par le vert, personnages mutiques, terre et eau mêlées, zone de mystères et de légendes. Mazan nous propose là le meilleur de ce nouvel album, avant de nous projeter 19 ans plus tard, sur les traces d'un serial killer signant ses crimes d'un louis d'or. Et là, le contexte est tout différent. Philibert et son frère entourent leur mère, résistante terrienne de son état. Seule sa pharmacie se dresse au milieu d'un superbe golf, elle a toujours résisté aux promoteurs immobiliers. L'histoire prend un tour plus policier et le lecteur aura vite compris le rôle de la mère dans la fin de l'intrigue. Mais la magie du début a disparu. Même si la pharmacie au milieu du golf est une belle idée en soi, même si les personnages de ce second acte sont à la fois truculents et touchants (surtout la mère, pleine de petites manies), il reste un goût de bayou sur la langue du lecteur. Bien sûr, les deux histoires se rejoignent, s'emboîtent et se complètent même parfaitement ; le scénario de Mazan se justifie d'un bout à l'autre. Mais je regrette qu'il n'ait pas séparé les deux excellentes trames de départ que constituaient le bayou d'une part et la mère sur le golf de l'autre. La réunion des deux prive le lecteur de deux ambiances qui, exploitées à fond, pouvaient sans problèmes être sublimées par un auteur et un dessinateur aux talents indubitables. Au final, on passe peut-être à côté d'un album génial. Et on se contente d'un livre magnifique. Cherchez l'erreur...
Un jeu cruel (Nirta Omirli) par Thierry Bellefroid
« Un jeu cruel », tome 1 de Nirta Omirli. Par Morvan et Bachan. Aux Humanoïdes Associés.

Les Humanos ont décidé de frapper fort en cette fin de printemps. Deux albums-événement ( « Je suis légion » et « D-Day » ), le retour très réussi de Victor Levallois, et cette nouvelle série de Morvan, ça fait beaucoup de choses intéressantes en quelques semaines. Jean-David Morvan se permet comme souvent de traiter plusieurs thèmes à la fois et on ne le lui reprochera pas, c'est ce qui donne sa force et son intérêt à ce premier album de Nirta Omirli. D'une part, le classique combat pour la survie de six rescapés d'une catastrophe qui doivent s'en tirer en empruntant une navette de secours à... cinq places. De l'autre, le thème de la vieillesse qui est pris à rebrousse-poil si l'on peut dire puisque la « vieille de service » est justement une très jeune et jolie jeune fille qui n'a pas eu le choix du corps dans lequel elle s'est rematérialisée. Le tout sur fond de guerre, comme souvent -presque comme toujours !- chez Morvan, ce qui permet à l'auteur de traiter les thèmes qu'il préfère, comme ceux de la violence à l'égard des peuples, de l'intolérance, de l'héroïsme ou encore du combat pour un idéal. Tout cela, une fois passé dans le shaker du plus prolifique scénariste du moment, tient bigrement la route et accroche le lecteur d'un bout à l'autre. Quant au dessinateur mexicain, Sébastian Carillo dit « Bachan », il propose un traitement graphique qui fera inévitablement penser à celui de Buchet sur Sillage. Beaucoup de similitudes entre les deux dessins et surtout une mise en page identique -la marque de fabrique de Morvan aussi, au passage. Bref, un premier tome prometteur.
Mon cousin dans la mort par Thierry Bellefroid
« Mon cousin dans la mort », par François Duprat. Chez Petit à Petit.

Paru une première fois en 2001 en noir et blanc, « Mon cousin dans la mort » méritait bien une publication en couleurs dans la collection grand format des éditions Petit à Petit. Ce récit intimiste et villageois, sorte de chronique campagnarde située au tout début des années 60, est bien plus subtil que ne le laissent paraître les premières pages. Au-delà des chamailleries entre mômes et des jeux en bande, il se penche sur un microcosme partagé entre ses douleurs, ses silences et ses jalousies. Au village, l'Algérie est un sujet tabou. Pourtant, l'arrivée d'un jeune garçon frondeur que ses parents Pieds-Noirs ont confié à sa tante le temps d'arranger leur retour d'Oran, va changer la donne. Le conflit, sa violence et même sa propension pour la torture vont s'exporter et gangrener à la fois la société enfantine et celle des adultes. Autour du cimetière où une histoire touchante se noue entre deux enfants qui refusent le monde des adultes, c'est un petit drame social que monte François Duprat. Chaque personnage y joue parfaitement son rôle, jusque dans ses exagérations, dans sa façon de s'exprimer ou de se comporter. Il y a quelque chose de très fataliste dans cet univers où le destin, quand ce n'est pas la mort, semble seul habilité à aider les plus faibles à s'en sortir. Duprat déroule son histoire avec beaucoup de doigté dans les dialogues et les situations, ne cherchant ni les effets de manche ni les rebondissements gratuits. Son regard sur l'enfance sonne juste et frappe par ce mélange de fraîcheur et de refus d'une certaine naïveté. Duprat est plus un metteur en scène qu'un bon dessinateur, cela se voit dans sa façon de composer les cases et les planches, de faire jouer ses personnages. Mais il a la sincérité des auteurs complets, ce qui permet à son graphisme de transcender son manque de séduction initial. Sans jamais tenter de faire autre chose que de se mettre au service de l'histoire, le dessin en finirait presque par se faire oublier. Il installe pourtant une ambiance qui contribue à la réussite de cet album.
« La chaîne du grand pouvoir », tome 3 de « La Maison Dieu » de Rodolphe et Nathalie Berr. Chez Albin Michel.

La Maison Dieu rappelle par certains aspects le scénario de « Dock 21 », rebaptisé « Les abîmes du temps » depuis sa réédition chez Albin. Rodolphe y donne libre cours à son amour du fantastique tout en veillant à l'ancrer dans le réel et le contemporain. Du moins était-ce l'impression qui se dégageait des deux premiers albums de la série. Désormais intégrée dans la nouvelle collection « BD Haute Tension », « La Maison Dieu » prend ici un tournant inattendu qui ne manquera pas de laisser perplexes certains lecteurs. Mais pourquoi donc le scénariste a-t-il tenu à cet hommage appuyé à Edgar Jacobs ? Dans un one-shot, on le comprendrait aisément, cela en ferait un album de genre. Mais au milieu d'une série jusqu'ici très éloignée de l'univers de Blake et Mortimer, l'idée de reprendre les ingrédients de « La Marque Jaune » n'est pas forcément la plus heureuse. En dehors de cet aspect, la série conserve son attrait, qui tient depuis le départ au caractère ambigu des personnages. Tous ont hérité d'un pouvoir spécial qui en a fait des stars dans leur domaine de prédilection ; tous jouent au chat et à la souris avec les autorités qui ont bien compris l'intérêt de leur mettre la main dessus. Cette fois, en plus, les neuf apprennent à unir leurs efforts pour conjurer le danger qui les menace. C'est classique, bien mené, de temps à autre un peu facile, mais dans l'ensemble, sans arriver au niveau de « Dock 21 », voilà une agréable lecture fantastique que le dessin de Nathalie Berr ne déshonore pas, sans pour autant la transcender.
Occasion Or (Sentinel) par Thierry Bellefroid
« Sentinel », par Mc Keever et Studios Udon, chez Panini dans la collection Marvel Mini Monster.

Deuxième titre en français dans cette collection pour ados qui s'affirme comme un excellent signe de renouvellement chez Marvel. Alors que le premier album de la série « Les fugitifs » proposait il y a quelques mois un univers où les pouvoirs d'adolescents en rupture avec leurs parents rappelaient encore largement l'univers Marvel, « Sentinel » s'en éloigne davantage. Pas de super-héros mais un super-robot qui apparaît comme le personnage secondaire d'une histoire entre ados pour les ados. Le véritable héros de « Sentinel » est en effet un gamin qui trompe sa solitude et son isolement en protégeant le robot qui est en train de se régénérer grâce à lui. Il s'en servira ensuite pour tenter d'assouvir son besoin de reconnaissance et venger les affronts réguliers auxquels il est confronté à l'école. Le ton est plus introspectif que démonstratif, la psychologie des personnages bien plus poussée que l'intrigue elle-même. Et Sean Mc Keever réussit le grand écart entre le comics et une BD qui serait davantage le reflet de son temps. « Sentinel » manie avec beaucoup de justesse tous ces ingrédients, sans oublier le poil de fantastique et d'aventure qui accrocheront les jeunes lecteurs. Il est servi par le dessin d'un studio manifestement influencé par le manga et le dessin animé. Un dessin d'une grande lisibilité qui parvient, malgré une stylisation intense, à jouer les passeurs d'émotion. Peut-être moins original que « Les fugitifs », mais réellement rafraîchissant !
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